Sébastien a commencé sa carrière comme juriste dans une maison d’édition, puis il a eu l’opportunité d’intégrer directement la magistrature. Il présente son métier de procureur au Parquet National Financier et donne des conseils aux étudiants qui sont intéressés par la magistrature et souhaitent démarrer une carrière dans le droit.
Pouvez-vous présenter votre métier ?
Je suis vice-procureur au Parquet National Financier. Le Parquet National Financier, est un parquet très spécialisé (dont on parle beaucoup en ce moment dans les médias) qui a été créé après l’affaire Cahuzac, et après des accords signés par les pays européens avec l’OCDE pour lutter contre la corruption. Il est constitué de magistrats très spécialisés qui travaillent sur les dossiers les plus complexes en matière financière, en matière de fraude fiscale aggravée, de blanchiment, de corruption et probité (prise illégale d’intérêt, trafic d’influence, favoritisme, détournement de fonds publics..). La personnalité des personnes mises en cause donne parfois une connotation « politico-financière » à ces affaires, qui peuvent devenir très médiatiques. Le PNF a un quasi monopole du traitement des dossiers de corruption d’agents public étrangers, c’est-à-dire des fonctionnaires étrangers corrompus à l’étranger par des entreprises.
En quoi consiste votre travail plus précisément ?
Notre travail, c’est le travail classique d’un procureur, avec une spécialisation économique et financière. Premièrement, comme tout magistrat du Parquet, nous recevons des plaintes et nous ouvrons des enquêtes pénales, soit à partir de ces plaintes, soit plus spontanément à partir d’un article de presse, soit à partir de signalements transmis par des administrations, ou à partir de plaintes fondées sur l’article 40 du Code de procédure pénale. Nous travaillons avec de nombreux services de l’Etat : avec la Direction des Finances Publiques, avec la Cour des Comptes ou les chambres régionales des comptes, qui nous signalent des soupçons d’infraction constatés lors de leurs contrôles. On est également en relation étroite avec un service de renseignement financier qui s’appelle Tracfin. Nous apprécions les éléments qui nous sont transmis, nous regardons s’il y a des infractions qui sont de notre compétence, et nous décidons quelle suite y donner. Si nous ouvrons une enquête, nous saisissons un service d’enquête (police ou gendarmerie), et nous dirigeons ensuite cette enquête. Nous avons des dossiers internationaux dans lesquels nous effectuons des demandes d’entraide internationale avec des pays du monde entier. Deuxièmement, à l’issue de l’enquête, nous devons prendre une décision, soit de classement si on n’a pas assez d’éléments pour prouver l’infraction ou si l’auteur n’a pas été identifié, soit de poursuite, c’est-à-dire de renvoi de la personne devant le tribunal pour y être jugée. De plus en plus, ils existe des possibilités de transiger avec les personnes et leurs avocats, par exemple le plaider coupable ou CRPC, ce qui permet d’éviter un procès. De la même manière, avec les entreprises, on peut conclure une CJIP (convention judiciaire d’intérêt public). La troisième phase de la procédure, c’est bien entendu le procès. Lors de l’audience, le magistrat du parquet représente alors la société et il « plaide » le dossier en prenant des réquisitions à l’oral.
Quel est votre parcours ?
J’ai un parcours de juriste « classique », niveau Master II, j’ai passé le CAPA, l’examen d’avocat, et je suis docteur en droit. J’ai passé 17 ans chez Dalloz, une maison d’édition juridique. J’étais donc juriste et éditeur, je travaillais pour des encyclopédies et des revues juridiques. Comme éditeur, je gérais des auteurs extérieurs auxquels je confiais des études, puis je relisais, corrigeais et validais leurs travaux . Comme juriste, je rédigeais moi-même en interne pour le site d’actualité ou les revues Dalloz. Je travaillais avec un certain nombre d’auteurs qui étaient magistrats, et qui m’ont donné envie de faire ce métier. Ils m’ont expliqué qu’il y avait la possibilité d’une intégration directe dans la magistrature, sans passer le concours, mais au terme d’un parcours long et sélectif. Et c’est ce que j’ai fait.
Quels sont les différents postes qu’on peut occuper quand on est magistrat ?
Quand on passe le concours, on entre à l’école pour suivre une formation de 18 mois, à l’issue de laquelle ont devient magistrat. Ensuite, on choisit un poste, en fonction de son classement de sortie, soit au siège, soit au parquet. Ce choix n’est pas définitif, puisqu’au cours de sa carrière, on peut donc passer du siège au parquet, comme faire toute sa carrière à l’un ou à l’autre. Au siège on retrouve les juges d’instruction, qui font un travail de direction d’enquêtes, les juges d’application des peines qui s’occupent de suivre la vie des condamnés, à la fois quand ils sont en prison et quand ils sont hors de prison, les juges des enfants, les juges aux affaires familiales, les juges de la protection (tutelles…), et puis les juges au sens propre, qui décident de l’issue d’un procès, au pénal comme au civil. Il existe donc des fonctions très diverses, avec des spécialisations très spécifiques. Le futur magistrat est formé pendant l’école sur tous ces postes et il choisit ensuite celui qu’il souhaite, en fonction de son classement. Tout au long de sa carrière, il peut passer d’une fonction à une autre en fonction de ses intérêts.
Quelles sont pour vous les compétences nécessaires pour être procureur ?
Il faut ne pas avoir peur de la charge de travail. Mais surtout, quand on est magistrat, il faut faire preuve d’indépendance, d’impartialité et d’objectivité, et évidemment de probité et de dignité. Il faut par exemple faire attention d’éviter les conflits d’intérêt. Au parquet, notamment, il faut savoir faire preuve d’adaptation et avoir un bon sens relationnel, car on travaille avec des personnes différentes, les enquêteurs, les avocats, les experts, les administrations, les justiciables… Il faut être ouvert, et être prêt aux débats et à la discussion, faire preuve d’humanité. Il faut bien entendu être un bon juriste, c’est essentiel, car le magistrat a un devoir de compétence. Notre travail c’est d’appliquer la loi, de la comprendre, de l’interpréter, de connaitre la jurisprudence, de la créer, parfois. Il faut être innovateur, trouver de nouveaux angles d’attaque, anticiper les nouvelles formes de délinquance, avoir une compréhension des enjeux internationaux. Avoir un bon esprit de synthèse également, un magistrat rédige beaucoup que ce soit au siège ou au parquet. Il faut faire preuve d’humanité et s’adapter aux circonstances. Quand on juge une personne, on tient compte de beaucoup d’éléments qu’il faut savoir analyser.
Qu’est-ce qui vous plait dans votre métier ?
C’est le côté humain et concret qui me plait par rapport à mon métier de juriste qui était très technique. Je suis beaucoup sur le terrain, pendant les enquêtes et lors des discussions avec les avocats ou lors des audiences. En contact avec beaucoup de personnes différentes, je dirige des enquêtes concrètes derrière lesquelles il y a des hommes et des femmes. C’est ce travail de terrain et ces relations humaines que je cherchais dans ce métier et que je trouve passionnant aujourd’hui, tout en ayant conservé l’aspect intellectuel de l’analyse juridique de dossiers souvent complexes.
Après ce poste, vers où aimeriez-vous évoluer ?
Cela fait un an que je suis arrivé au PNF, et si je n’avais pas eu ce poste-là, j’aurais demandé un poste de juge d’instruction, qui est aussi une fonction très intéressante où l’on est beaucoup plus autonome, plus indépendant. Quand j’ai démarré ce métier, j’avais beaucoup aimé les assises et j’aimerais y revenir. C’est très différent de ce que je fais, aujourd’hui. Il y a de gros enjeux humains, puisqu’on y juge des crimes, mais c’est moins juridique. Ce sont souvent des procès longs, avec des jurés non professionnels. Ce sont des procédures où la place de l’humain est essentielle, où interviennent des experts psychologues et psychiatres. J’envisage éventuellement cela comme suite de carrière, en tant qu’avocat général à la Cour d’appel. Sinon éventuellement en fin de carrière, j’envisage des fonctions plus juridiques à la Cour d’Appel ou à la Cour de Cassation.
Quelle seraient vos conseils pour réussir ses études de droit ?
Bien travailler bien sûr, mais aussi choisir les matières qui vous plaisent, car les trois premières années sont généralistes. J’aimais beaucoup le droit des institutions, la philosophie du droit, l’histoire du droit. J’ai d’ailleurs fait un DEA de philosophie du droit à la fin de mes études de droit. Les études sont très théoriques et il faut donc essayer de rendre concret ce qu’on fait en échangeant avec des professionnels, en faisant des stages, en se rendant aux audiences (les procès sont publics), en rencontrant un juriste en entreprise… Cela aide à se projeter vers le métier du droit que l’on pourra faire plus tard, c’est plus motivant et on comprend davantage l’intérêt de tout ce qu’on doit apprendre. Il faut aussi travailler le raisonnement juridique et la rédaction. On n’a pas besoin d’apprendre par cœur en droit. Il faut surtout connaitre des notions juridiques et comprendre le raisonnement juridique, le syllogisme, à quoi sert la règle de droit. Il faut savoir où chercher les éléments juridiques.
Et pour réussir le concours de l’ENM ?
C’est un concours très difficile, plus que l’examen d’avocat. Il faut avoir une culture juridique assez généraliste, car il y a des matières très variées au concours, du pénal, du droit des affaires, du civil, du droit de la famille, du droit public, mais aussi de la culture générale. Il faut beaucoup travailler sur des notes de synthèse. S’entrainer pendant les études à faire des concours d’éloquence peut aider à avoir confiance en soi à l’oral. Il faut un bac +4 mais en pratique les étudiants présentent le concours avec un bac+5 (Master 2). La plupart font une préparation dans un IEJ. A Sciences Po, il y a des masters 2 qui préparent au CAPA et d’autres à l’ENM. Souvent les étudiants présentent à la fois l’ENM et la CAPA. Il est possible aussi de choisir des masters qui préparent à ces concours.
Comment se différencier quand on candidate au droit ?
Si on a fait des stages en entreprise, il ne faut pas hésiter à le mettre en avant, c’est un plus dans le recrutement. Bien parler anglais est aussi important. Il faut montrer qu’on s’intéresse au droit, par exemple qu’on s’est rendu à des portes ouvertes, qu’on a suivi une formation, qu’on a assisté à un colloque. Vous pouvez valoriser une deuxième compétence complémentaire au droit, l’art par exemple, l’informatique, la finance… Il y a de plus en plus de cabinets spécialisés en droit de l’informatique, en intelligence économique, ou le droit pénal des affaires. Mon conseil se serait aussi de s’orienter en fonction de ses goûts. Si on aime la littérature, on peut travailler dans une maison d’édition ou s’orienter vers la propriété littéraire et artistique, si on aime le sport, on peut faire du droit du sport, si on aime les sciences, l’innovation, l’environnement, la médecine, l’immobilier… on peut travailler dans des entreprises ou des cabinets spécialisés dans ces domaines. Bref, il est possible de mêler le gout de son droit avec autre passion et ainsi orienter sa carrière en fonction de sa personnalité.
Si vous pensez que le témoignage de Sébastien peut intéresser des étudiants qui souhaitent démarrer une carrière juridique ou sont intéressés par la magistrature, partagez-le. Vous avez une question sur votre orientation ou votre réorientation, vous avez besoin d’aide sur Parcoursup, vous cherchez un 1er job, un stage, une alternance, vous avez un projet à l’international et vous avez besoin d’aide pour le concrétiser, ou vous souhaitez changer de job, prenez contact avec nous pour une 1ère séance de coaching et conseils gratuite.